Weda Emery
i'm an enhanced being
i live for the power i create
should've been us (côme)
memories
let's escape just the two of us
like we used to do
like we used to do
J’étouffe. J’étouffe dans ce monde qui n’est pas le mien. Ce château qui était mon antre, mon temple personnel où rien ne pourrait jamais m’atteindre est devenu un ennemi. La reine a été tué. On en veut à ma famille, à notre monarchie. On nous pousse au confinement, à former des troupes d’élite pour assurer notre protection. En tant qu’Emery je n’échappe pas aux nouvelles règles, à la surveillance que la nouvelle reine a érigé. J’étouffe. J’étouffe de savoir qu’il n’y a plus un mais tout un escadron à veiller au pas de ma porte. Que Kels se montre bien plus vigilant qu’il ne l’était autrefois. Que mes seuls moments de solitude ne sont permis qu’à l’intérieur de mes appartements. Même si je comprends la décision d’Alkyone, il n’empêche que j’étouffe. Alors il m’arrive de m’échapper. Je sais Kels dans la tourmente, que je le place dans une situation terrible : devrait-il signaler ma disparition à ses supérieurs (mes parents) ? Ou bien m’accorderait-il un brin de repos et finirait par me retrouver, saine et sauve, comme à l’habituée ? J’espérais chaque fois qu’il n’inquiéterait pas ma famille déjà en proie à bien des difficultés et je n’aimais pas être le centre de l’attention ni la cause de tourment. Voilà des années que j’étais un fantôme, celle que l’on ne remarque pas lors des dîners et dont l’absence apporte peu —voire soulage. Je joue ce rôle à la perfection. Peut-être trop bien selon les dires de Kels, car ainsi je perce les remparts érigés autour de moi et il m’est si facile de m’enfuir. Tandis que je m’éloigne du palais royal une pensée surgit en mon esprit : si l’on souhaitait vraiment m’empêcher de m’enfuir, il suffirait que l’on cesse de me porter si peu d’importance. Si je suis réellement aussi important qu’ils tentent de me faire croire et non juste un patronyme, alors il leur suffit d’ouvrir les yeux. De me considérer comme une personne. Alors ma chair retrouverait sa consistance et je n’échapperais plus si aisément à leur radar. Or c’est bien là le problème : on me voit comme la moitié de ce que je suis. Un être imparfaitement normal.
J’ai l’humeur morose en cet après-midi ensoleillé. La nuit fut courte, hantée par des créatures horrifiques : le bas d’un taureau qui broyait ses jambes, la tête d’un faucon qui écartait sa chair pour mieux s’acharner sur son organe régulateur. Le regard fixé sur mes pieds, j’observe la façon dont mes souliers entre en contact avec le pavé qui annonce mon arrivée prochaine à un lieu sacré. Le bruit des cailloux luttant contre le poids de mon corps n’est plus qu’un vague souvenir. Ma présence est redevenue imperceptible. Le modeste talon qui me chausse est en osmose parfaite avec le pavé sombre : aucun bruit n’échappe de mon passage. Seule quelques fines tranches d’étoffe se dérobent de ma délicate robe. Mais le vent souffle à peine, alors je redeviens silence.
Ce n’est qu’une fois devant la sublime cathédrale Saint-Louis que je lève le regard. Je parcours les différentes rosaces que je retrouve sur plusieurs de mes robes et qui orneront la robe de mariée de Korë, ma soeur. C’est ici qu’elle s’unira à son fiancé, qu’elle montrera au monde entier qu’elle est une femme d’honneur, une femme solide qui ne souffre d’aucune faiblesse. Un soupir m’échappe, perdue dans la contemplation du monument et ne remarque pas la présence d’une personne à mes côtés.
|
|