Dans quelques jours les Kayser viendraient faire la démonstration de leurs dernières trouvailles en matière de magie. Une cérémonie pompeuse à laquelle Mavka se joignait de mauvaise foi. Peu encline à sourire et à offrir des révérences. Il lui faut pourtant paraître, être parfaite. Toujours. Toutes les occasions sont bonnes. Et ce genre d'événement est l'endroit idéal pour observer ses ennemis. Elle le sait Mavka. L'avenir s'y dessine et s'y décide. Elle ne peut pas rester en dehors du jeu, pièce maîtresse sur l'échiquier du pouvoir. Elle ne peut pas passer son tour, prétextait un quelconque malaise, une affliction soudaine. Elle sera là Mavka, aux côtés de son frère et de sa mère. Le dos droit, la tête levée et le regard planté vers l'avenir, horizon incertain. Aucune importance qu'elle méprise les Kayser et leurs méthodes. Il n'y a entre les deux familles qu'une confiance de façade, des intérêts bancals. Des apparences. Il n'est que question de ça.

Elle n'a pas besoin de parcourir sa garde robe pour savoir quelle tenue porter. Elle sait seulement qu'elle a besoin d'une nouvelle parure de bijoux. Besoin inutile. Fausse excuse. Ce n'est pas de bijoux dont elle a besoin mais de l'orfèvre qui se cache derrière chaque création qu'elle porte depuis maintenant cinq ans. Cinq années aussi longues que lentes, ralenties par la mort et le chagrin. Temps suspendu par ce bonheur qu'elle a mis entre parenthèses. Pas aujourd'hui. Pauvre gamine incapable de refréner ses envies. Fillette capricieuse. Elle pourrait sans doute faire un meilleur usage de sa fortune.

Elle quitte le palais du Luxembourg, prison dorée, sous bonne escorte, toujours. Les rideaux de son carrosse tiré afin de lui permettre d'admirer les rues de Paris. Son beau Paris blanc. Le chemin menant jusqu'au quartier Vendôme n'a aucun secret pour elle. Presque capable de le retracer les yeux fermés. Si seulement elle était autorisée à vagabonder seule. Doux rêve. Et quand enfin le carrosse s'arrête, que son garde du corps l'aide à en descendre, Mavka s'autorise à expirer lourdement. Comme si elle avait retenu sa respiration jusqu'ici. Elle lisse les pans de sa robe émeraude, couleur fétiche. « Attendez-moi ici. » qu'elle ordonne, certaine de sa sécurité. Et si quelqu'un devait s'en prendre à elle, Alexandre la protégerait. Certitude inébranlable. Confiance qui l'angoisse, fait glisser un frisson le long de son dos.

La clochette retentit alors qu'elle pousse la porte de la boutique pratiquement vide. Un couple richement vêtu se retourne sur elle, lui accorde une brève révérence. Ça la fait grincer des dents Mavka et elle les ignore superbement. Flânant déjà ici et là, les yeux regardant sans vraiment voir, à la recherche d'un quelque chose qui n'est pas là. Et quand enfin sa voix se fait entendre, elle perd tout bon sens Mavka, se retournant brusquement vers ce son charmeur.

« C’est que ma femme ici présente aimerait quelque chose de… » L’homme ne trouve pas les mots et Alexandre reste de marbre. Il a souvent entendu cette phrase, cette phrase qui reste éternellement en suspend. Il est celui vers qui les gens se tournent quand ils souhaitent répondre aux besoins de leur proche sans savoir eux-même ce qu’ils ont en tête. Pire, Alexandre doit deviner les intentions de cette femme bien présente dans son magasin mais qui reste muette comme une carpe. Soumise à l’autorité de son compagnon ou souhaite-t-elle le tester ? Voir ce s’il sait la comprendre ? En tout cas, Alexandre scrute discrètement cette dernière, à la recherche d’un signe sur son visage qui indiquerait ce qu’elle veut.

Il scrute sa tenue, la façon dont elle se porte, ce qu’elle dégage pour lui proposer quelque chose qui soit accordé à son style. Il observe également le couple, tente d’estimer les tenues pour savoir sur quel type de budget on peut s’orienter. A en juger par la qualité des vêtements, le carat des bagues qui ornent leurs mains et le maquillage, on se situe sur un couple bourgeois qui n’est pas dans le besoin. Et a l’air un peu perdu de l’homme qui n’arrive pas à mettre les mots sur sa propre pensée, Alexandre comprit vite qu’il pourra bien lui proposer n’importe quoi, que l’homme acceptera sous la pression de sa partenaire. Probablement aussi pour décocher la phrase « l’argent n’est pas un problème », chose que les hommes adorent mettre en avant lorsqu’ils font des emplettes avec leurs compagne. Alexandre le juge de façon un peu sarcastique, mais se cache bien d’afficher son sourire narquois et son expression reste neutre. « Je crois que j’ai ce qu’il vous faut. » dit-il au bout de la troisième hésitation de son interlocuteur qui peine à trouver les mots. Un sourire cordial et affable pour conclure l’affaire et il se retire quelques instants pour sortir trois bracelets ornée de diamants. Leur taille varie quelque peu et l’assortiment également. Il ne faut que peu de temps à l’essayage pour que le coup de coeur s’opère pour l’un de ce que propose Alexandre. Une inspiration qui se coupe, une bouche qui s’ouvre dans un effet de belle surprise, des yeux qui s’écarquillent, elle a fait son choix.

La cloche a sonné, elle est là. Va lui parler. Electra infiltre ses pensées alors qu’il est en train de terminer le règlement et d’emballer méticuleusement le bracelet pour ses clients. Il regarde du coin de l’oeil le coyote tapis dans l’ombre du comptoir côté gérant. Il ne prend pas la peine de complètement se retourner pour adresser son bonjour. Son démon a dû probablement la sentir dès son arrivée devant sa boutique, et Alexandre souhaite la laisser mariner. Il continue donc son oeuvre tandis qu’il entend bien la porte se refermer et la petite clochette au-dessus de son commerce s’agiter avant de redevenir silencieuse. Il finit par se retourner pour adresser le petit paquet au couple et voit en arrière plan la crinière brune qui lui tourne le dos pour regarder ses étalages. Va la voir, dis-lui bonjour au moins. Tais-toi Electra. Cette fois, il intervient et répond mentalement à sa Démon. Une remarque de plus et c’est mon pied dans ta gueule. Qu’il assène ensuite. Il sourit au couple, prend les billets avant de faire le tour de son comptoir pour aller voir ce dos qui tourmente son esprit. « Bonjour, que puis-je pour vous ? » Le vouvoiement cordial est de rigueur, ils ne sont pas encore seuls et le couple traîne à quitter la boutique. Son sourire reste lui aussi neutre, avec une pointe de familiarité qu’elle saura sûrement détecter au coin de ses lèvres. « Vous cherchez quelque chose en particulier ou vous flânez ? » La femme du couple s’attarde sur un nouveau bijou, mais le portefeuille de son conjoint n’est pas d’une profondeur infinie et il tente de la raisonner à voix basse. Alexandre attend bien entendu que ces derniers partent pour changer de ton mais la situation n’en demeure pas moins amusante.

"Je flâne. Je n'ai, hélas, pas la chance d'avoir un gentilhomme à mon bras pour m'offrir tout ce que je désire. Demi vérité. Elle a un sourire espiègle, ses yeux rieurs se posant brièvement sur le couple, l'homme désormais mal à l'aise. Mais Mavka n'a que faire de bijoux. Elle les apprécie à leur juste valeur, aime se parer de leurs couleurs et sentir la douceur de leur froid sur sa peau. Mais ce n'est pas les richesses qu'elle recherche. Son besoin n'est pas palpable, pas même visible. Tempête qui fait rage au fond de son être. A peine consciente de ce qu'elle désire. Elle n'ose pas y penser. Gamine effrayée. Elle préfère camper des positions houleuses. Certaine du passé. Desire profond et ancré. Voilà ce qu'elle veut.

Mais le désir c'est tout autre chose. Et Mavka ignore tout de ses richesses. Il se tient pourtant tout près, feignant une routine, la traitant comme une énième cliente à satisfaire. Et elle entre dans la danse. Menteuse née. Elle se joue des apparences. Mavka n'a besoin de personne pour l'entretenir.  me désormais solitaire. Elle repousse les engagements pris, pas prête à être enfermée dans une case. Un mariage sans amour. Le temps s'effiloche. Traître. La liberté d'être soi-même bientôt disparue. Et si elle n'en montre rien, au fond, ça l'angoisse. Cet arrangement qui doit sauver son âme, assurer son avenir. La voir grimper les marchés, accéder à la plus haute tour. L'amour n'entre pas dans cette case. Elle ne le connaît qu'à travers des écrits, quelques volumes aux personnages romantiques, trop faux à son goût. Elle l'a observe aussi. Grandir dans le cœur de ses proches. Bouffer son frère Ren jusqu'à le balancer du haut d'une tour. Souvenir glaçant.

"Peut-être pouvez-vous m'indiquer quelques pièces ? Ainsi, un jour, je pourrais les pointer du doigt à mon prétendant." Habile, subtile. Le jeu continue. Le prétendant pas si loin. L'aveu pas encore fait. Ça la terrifie d'ainsi perdre la seule personne qui l'a regarde pour ce qu'elle est, pas ce qu'elle représente. Angoisse pas si bien dissimulée.

A peine a-t-il fini sa phrase qu’elle lui réplique déjà un trait d’esprit qui lui accroche un sourire aux coins des lèvres. Il n’a pas besoin de se retourner pour sentir le léger malaise de Monsieur derrière lui, entendant les soupirs et chuchotements confus de l’homme qui tente de pousser sa partenaire vers la sortie. Madame, elle, au contraire, semble ravie de ce petit cirque et se contente de glousser. Il ne serait pas du droit d’Alexandre de répondre à Mavka et faire un commentaire, il ne voudrait pas vexer ces clients qui semblent assez fortunés. Aussi reste-t-il silencieux.

La brune reprend alors la parole, tentant de piquer une certaine jalousie en évoquant ce fameux prétendant qu’Alexandre ne connaît que trop bien. Parmi tous, il fallait qu’elle s’arrange avec un d’Albignac, la famille à laquelle il a prêté allégeance, qui l’a sauvé, l’a élevé des misérables. Cruel destin, mais d’un autre côté, Alexandre n’a jamais vraiment cru à sa future union, simple chimère à ses yeux qu’elle agite pour le faire mariner dans un doux danger. Elle joue avec le feu, et ça tombe bien, Alexandre en a la maîtrise. « Je peux vous indiquer quelques colliers, qui sont en général le premier cadeau avant des fiançailles et le choix d’une bague. Comprenez que vous montrer directement des bagues porterait malheur à votre union puisque c’est l’homme qui se charge de vous en faire la surprise, et ce n’est pas le moindre du monde ce que je vous souhaite. » Le rictus est presque moqueur, la phrase très appuyée, sûrement trop et elle comprendra aisément ce qu'il entend.

Pendant que le couple finit de s’affairer et que Madame enfile son épais manteau de fourrure, il désigne à travers la glace quelques parures scintillantes et qu’il sait au goût de Mavka. « Nous avons ces nouveaux arrivages, taillés et faits par mes soins. » Il fait bien en sorte de se baisser, derrière elle, pour lui montrer afin que son menton effleure le début de son épaule. Il se délecte de « presque toucher sa peau », cette sensation d’interdit qu’il aime tant effleurer. « Que souhaitez-vous dire à votre prétendant avec ce bijou ? Que souhaitez-vous susciter chez lui ? Une parure, c’est aussi un manifeste, quelque chose qu’on a sur le coeur. Plus j’en sais, mieux je saurai vous conseiller. » Ses yeux se plantent dans les siens, histoire de lui lancer un défi, qu’elle soit capable de tenir un discours fort et censé sur ce prétendant illusoire. Le couple salue une dernière fois la nouvelle cliente et le tenancier, avant de quitter le commerce. Manège terminé, va-t-elle tout de même relever son défi ?

Elle ose un regard vers l'homme et la femme, époux heureux ou malheureux. Elle qui voudrait s'attarder. Lui qui cherche à quitter les lieux à tout prix. Et ça l'amuse Mavka. Allant jusqu'à se demander si la femme ne se joue pas de la situation elle aussi. L'esprit féminin plus affûté. Encore quelques secondes et elle aurait croisé son regard rieur. Au lieu de ça elle se heurte aux paroles d'Alexandre. Sourire mesquin, rictus moqueur. Porte moi malheur. Qu'elle implore presque du regard. Pas certaine qu'il soit possible d'en obtenir d'avantage. Tout le malheur du monde souille déjà sa vie. Noyé dans le désarroi, épaisses ténèbres dont elle ne se défait pas. Comme si elle n'avait pas le droit au bonheur. Petite chose simple qui lui échappe. Enfant maudite. « Non, bien sûr. Je préfère mettre toutes les chances de mon côté. » M'élever. Réussir. A tout prix.

Elle feint l'intérêt avec une perfection déconcertante. L’œil aguerri observant les parures, l'iris pétillant des couleurs vives étalées devant son regard. Intérêt qui s'éteint en une fraction de seconde. A peine le temps de battre des cils. La respiration coupée par cette proximité soudaine. Son souffle chaud qui lui chatouille la nuque. Lui qui sait si bien jouer avec son petit corps fragile. Gamine qui ne connaît rien aux tourments de la chair. Elle s'éveille à peine Mavka. Fleur délicate. Il lui fait perdre tout bon sens. L'interdit si proche et pourtant si loin. Il ne laisse jamais sa peau effleurer la sienne. Fruit défendu. Douce folie. Elle voudrait céder. S'abandonner dans ses bras. Oublier. Effacer leurs noms. Anéantir ce qu'ils sont. Jeu dangereux. Elle compte jusque trois dans sa tête, s'autorise à fermer les yeux pour réguler sa respiration mal assurée. Et voilà. Elle redevient Mavka Ketarova. Ou presque. Les yeux scrutateurs d'Alexandre ne la quittent pas et elle y décèle une tentation dévastatrice. L'appel du jeu.

Pas un mot. Pas même un regard pour le couple qui quitte enfin les lieux. Les laissent finalement seuls. Tête à tête tant espéré. Ca ne change pourtant rien. Ses épaules se détendent à peine et Mavka ne perd en rien sa concentration. La voix posée. Sourire malicieux à l'appui. « Je cherche une étincelle. » Une petite flamme. Pour illuminer ses nuits. La réchauffer. La rassurer. « Qu'il sache que je suis là, que j'ai besoin de lui. » Les yeux se détournent, honteux. Faiblesse avouée à demi mots. Double discours. L'entendra-t-il ? L'appel silencieux. Celui des amants maudits. Délicieux tourment « J'aimerai qu'il fasse attention à moi lors de la prochaine soirée. Je n'apprécie que modérément d'être reléguée au second plan. » Elle entre dans la danse, joue le jeu mesquin qu'il impose. Incapable de garder ses distances. Trop dépendante de son regard. Sa peau frémissant déjà de sa proximité contrôlée. Lui qui lui échappe. Chimère qui hante sans scrupules ses nuits.

Alexandre la jauge du regard, cherche aussi à la déstabiliser. Il aime la torturer, il aime qu’elle le torture aussi en retour. Il ne sait pas bien pourquoi c’est elle et pas une autre. Mais c’est ainsi. Des nombreuses rencontres avec elle aux soirées mondaines ou dans son commerce, qu’elle soit seule ou avec sa famille, il a fini par tisser un lien plus que cordial avec la charmante brune. Complices de ce secret encore bien gardé mais dangereux. Dangereux pour lui, qui mise une ascension chez les d’Albignac et que ce qui pourrait être qualifié d’une amourette mettrait en péril. Dangereux pour elle, hautement placée chez les Keratova dont la terrible chute ne peut pas leur permettre le moindre écart. Pas la meilleure idée du monde en somme, mais jusqu’ici cela reste innocent ? Pas de mariage, pas de crime commis. Envoûté quelques instants par les mots de la noble qui évoque une étincelle, il finit par mettre sa main sur son menton, doigts posés sur sa bouche, en signe de réflexion. A-t-il vraiment envie de lui donner ce qui pourrait pousser son plus qu’hypothétique fiancé à lui passer la bague au doigt ? « Je vois. Bien que je doute qu’une femme comme vous puisse un jour être reléguée au second rang. Permettez-moi d’aller chercher quelques suggestions dans mon arrière-boutique. » Il fait une petite révérence vers l’avant puis s’éloigne par une porte sur le côté pour aller dans ses réserves. Electra en profite pour sortir de derrière le comptoir, se plaçant près de l’entrée, probablement pour surveiller en l’absence d’Alexandre.

C’est de toi qu’elle parlait tout à l’heure tu sais. Dans l’arrière-boutique Alexandre secoue de la tête cette pensée intrusive venu de son coyote. Tu sais pas ce que tu racontes, laisse-moi. Discours schizophrène, cette voix qu’il refuse d’entendre. Il sort quelques instants plus tard, avec trois parures aux styles différents, susceptibles de lui plaire. Il les présente dans leur écrin à la dame devant lui. « Voici des créations, dont une de la même collection que celle que vous avez pu voir derrière la glace. » Il regarde Electra rapidement du coin de l’oeil pendant que Mavka observe les bijoux, fait un signe de la tête à son Daemon pour qu’il retourne se tapir dans l’ombre. Il pourrait effrayer la clientèle après tout et il ne connaît pas bien encore les positions de Mavka sur la magie, si ce n’est qu’elle en est pourvue elle-même. « L’étincelle est là, il suffit juste de la porter au cou pour vous en apercevoir. » dit-il, regard appuyé pour ponctuer sa phrase lourde de sens.

« Je puis vous faire essayer celui-ci, qui est mon préféré, si cela ne vous dérange pas. » Il sort délicatement son choix de son écrin avant de le détacher et de s’approcher du dos de la Keratova. « Permettez. » Il place et ferme le collier sur le dos de la nuque de la jeune femme, toujours avec une grande méticulosité et attention. Sa main vient ensuite effleurer le haut de la poitrine de Mavka, plaçant quelques pierres qui ne sont pas en place en regardant dans le miroir face à eux. Il s’amuse de cette proximité, s’en délecte même et sent dans ses veines une douce sensation de plaisir couler. Face à l’absence de lumière naturelle en cette après-midi terne, il va chercher une bougie pour la rapprocher de l’épaule de la brune, afin qu’on voit comment scintille la parure. « Tu vois, elle est là ton étincelle. » Sous l’effet de l’adrénaline et du moment, la flamme de la bougie s’emballe un peu, attisé par le pouvoir d’Alexandre qui flirte encore un peu plus avec le danger. Notes de menthe poivrées qui se dégagent de cette atmosphère étouffante.

Trahie par son propre corps. Des automatismes incontrôlables. Elle ne cherche même pas à se maîtriser. Cherchant inconsciemment un peu d'attention. S'autorisant une respiration. Un moment de répit. Une accalmie dans la tempête. Tourmente douloureuse dans laquelle elle vit depuis maintenant deux ans. Il est son phare. Lumière dans la nuit. Constante bancale. Elle a besoin de sa présence pour lui rappeler qui elle est. Se souvenir de la gamine innocente. Ne pas oublier les sentiments qui brûle au fond de son corps. L'envie d'aimer et d'être aimé. Sans conditions. Sans arrière pensées. Un rêve qu'on lui a brusquement arraché. Rien qu'une chimère. On lui a poignardé le cœur. On a vendu son corps. Elle se meurt Mavka. Poupée fragile enfermée dans une prison dorée. Le bonheur à portée de main. Le bonheur qu'on lui refuse. Elle l'effleure à peine. Elle y goûte en sachant que jamais elle ne pourra le dévorer, se laisser consumer. Distances imposées parfois trop difficiles à garder. Elle cherche sa proximité à tout prix Mavka. Tentation brûlante. Elle pourrait y céder. Certaine qu'un petit rien enverrait tout voler en éclats. Sûre qu'il ne refuserait pas. La ligne pas franchement franchie. Flirt dangereux. L'interdit leur tend les bras. Mais la distance persiste. Et elle baisse les bras Mavka. Déçue. Les épaules qui fléchissent dans un mouvement à peine perceptible. Soubresaut de réalité. Relègue moi, pitié. Elle donnerait tout, parfois, pour effacer le nom de Ketarova.

Elle acquiesce vaguement de la tête, sa main l'invitant à la laisser. Et quand il s'éloigne elle soupire longuement, son regard accrochant celui du coyote devenu familier. Étrange magie. Pouvoir insaisissable qu'elle peine à déchiffrer. Énigme fascinante. Mais où la magie existe, la supériorité demeure. Gamine ridicule aux idées farfelues. Sa tête pas encore décidée. Elle relève le menton, chassant la magie. A nouveau prête à jouer. La partie loin d'être terminée. Et tant pis si elle a déjà perdu. Son attention toute retrouver, elle admire les bijoux fraîchement sorti rien que pour ses yeux. Privilège qui lui appartient. Le regard immédiatement attiré par la pierre sombre rougeoyante d'un feu qui ne demande qu'à s'animer. Comme son cœur. « Est-ce réellement si simple ? » Question suspendue. Comme hors du temps. Elle se laisse consumer Mavka, les ailes déjà brûlées par ce désir de vengeance qui lui dévore les entrailles. Seulement effrayée par le feu qu'il fait naître au creux de ses reins.

« Je vous en prie. » Elle se laisse volontiers faire, lui offre sa nuque, dégageant ses long cheveux. Vulnérable. Toute entière à lui. Le myocarde s'emballant dangereusement, la peau parcouru de frissons. Et le regard plongé au fond du miroir. Reflet parfait. Les mots lui manque. Hypnotisée par le moment. Enivrée par sa chaleur naturelle. Elle s'autorise à respirer quand il s'éloigne, ses doigts venant effleurer les pierres qu'il vient de toucher, espérant presque y sentir encore sa peau. Instant unique qu'elle imprime. Elle s'oblige à retenir chaque détail jusqu'à sa voix qui résonne dans sa tête. La chaleur lui donnant presque la nausée, elle s'oblige à rester droite, à regarder le reflet d'Alexandre qui s'approche dangereusement. La flamme grandissante de sa bougie lui chatouillant l'épaule, la joue. La couleur vive de la pierre dansant de concert avec la flamme. Elle la voit l'étincelle. Et ça lui arrache un sourire. Les sens noyés par ce trop pleins d'émotions, ces sensations uniques. Notes de mente poivrée qui vient endormir son odorat. Odeur familière qu'elle a appris à aimer, dont elle ne peut plus se passer.

La distance finalement effacée. Le respect d'usage piétiné. Enfin seuls. Deux âmes qui se répondent. Deux cœurs qui battent à l'unisson. « La laissera-tu me brûler ? » Les yeux dans les yeux. A la recherche d'une vérité. Elle brille Mavka. Comme une étoile déjà morte. Elle brille de toutes ses forces. De cette mélancolie qui vous brise le cœur. Tristesse qui a noyé son âme. Ses yeux qui s'animent avec passion. Réveillés par ce poison qu'on appelle amour. Et qu'elle ne connaît pas. Déjà consumée. Elle se meurt à son contact. Danger permanent. Incroyablement vulnérable face à lui et ce pouvoir qui la dépasse. Peut-être pas digne de le posséder. Peut-être pas élu. Mais tout aussi puissant. Capable de la détruire d'un mouvement. Elle pourrait s'enflammer dans la seconde. Et mourir sans un cri. Elle doit pourtant savoir avant de devenir poussière. La jalousie mal placée. Elle qui n'a aucun droit. « A qui pensais-tu en créant ce bijoux ? » Elle se rêve muse Mavka. Espérant presque être celle qui influe son pouvoir. Elle veut savoir. Et après ? Après il pourra tout effacer. En finir. Elle lui donnera le droit de la brûler.

Arrête, c’est dangereux ce que tu fais. Pour une fois, il donnera raison à son Daemon. C’est trop dangereux, cette proximité, ces sous-entendus et regards trop longs, sa voix qui chuchote dans un souffle chaud au creux de son oreille. Et puis tu vas te blesser comme la dernière fois. Alexandre n’avait pas usé de son pouvoir depuis quelques semaines, jour où il s’était en effet blessé lors de l’utilisation de son pouvoir. Un écart qui ne lui était pas arrivé depuis des années et dont il n’avait pas réellement pu trouver la cause après coup. Oui, ce serait raisonnable. Mais c’est si bon, si excitant. « Est-ce ce que tu souhaites ? » Désire-t-elle être brûlée par son incandescente flamme ? Double jeu terriblement intrigant qui se dégage de leur échange et de leur duel de regards. La flamme continue de s’emballer. Tu vas finir par la brûler. C’est finalement lorsqu’il entend cette voix qu’il souhaiterait tant faire taire mais qui le ramène à la réalité qu’il comprend qu’il y existe un risque qu’il la blesse, se laissant emporté par la passion du moment. Aussitôt, il cesse donc cet acte puéril et la bougie reprend sa flamme habituelle. « Bien sûr que non, je ne voudrais pas que ton expérience ici soit entachée par une bêtise du genre. » Frivolités, mépris pour l’usage de la magie, ce n’était qu’une idiotie de sa part, voilà tout. Il sent son coyote s’apaiser lorsqu’il écarte la bougie sur le comptoir, renonçant définitivement à ces impulsions de continuer l’usage de son pouvoir. Il entend des pas à côté de lui dans la rue, de clients qui se promènent et jettent un oeil à sa vitrine. Il faut garder les apparences et rester cordiaux, ils ne seront jamais vraiment seuls.

« Je… » Il marque une pause, conscient qu’il doit bien réfléchir avant de répondre à sa question. Dis-lui la vérité, ça ne te coûtera rien. Le problème quand on a un Daemon à l’opposé de son sexe, c’est qu’il en prend tous les défauts, en l’occurence ici un défaut courant aux yeux d’Alexandre à toutes les femmes/femelles : elles sont si bavardes. Toujours là pour l’empêcher de réfléchir, parler, lui dire quoi faire, encore et encore. Sa main se ferme sur l’écrin, semble déverser sa frustration et colère sur le petit objet sans défenses possibles. Intérieurement, il lutte pour faire taire Electra avant de relever la tête et affronter le regard de Mavka. « Je pense évidemment à toutes les femmes comme toi qui veulent se sublimer. Et elles sont nombreuses, et elles ont raison de l’être. » Il botte en touche, ce n’est pas de son genre d’aller au bout de sa pensée. Il garde toujours une distance, un dernier garde-fou avant de se révéler vraiment. Il se racle la gorge avant de s’éloigner derrière son comptoir, faisant mine de triturer dans quelques papiers administratifs complètement inutiles, comme s’il avait quelque chose faire. « Je te prie de m'excuser, je voulais vérifier quelque chose… As-tu fait ton choix ou souhaites-tu essayer autre chose ? » Il enlève délicatement la pièce du cou de Mavka, en restant cette fois-ci plus calme et moins facétieux dans son approche que précédemment. Il range le bijou dans son écrin avant d’exposer les deux restant de la main. « Et je peux savoir quand est-ce que tu comptes impressionner Eddard avec cette parure ? » Il n’a pas pu s’en empêcher, d’aborder l’éléphant de la pièce, de la torturer avec ce faux prétendant, la tester et la pousser dans ses retranchements. Sourire narquois, il la toise avec un air léger. C’est peut-être ce qui fera basculer leur échange de l’autre côté du spectre mais il n’en n’a que faire, c’est elle qui est venu le voir après tout.  

Jeu dangereux qui lui donne l'impression de vivre. Besoin de briller, d'exister. Être toujours plus. Il sait la mettre en valeur comme personne. Interdit qu'elle s'autorise en secret. Cinq années d'attirances et de rejets. Cinq années à tourner comme des vautours. Danse périlleuse, suspendus au-dessus du vide. Entre révérences et regards volés. Ils se dévorent de loin, sans jamais goûter à la chair. Fruit défendu. Elle ne sait même pas ce qu'elle veut Mavka. Découvre à peine que son cœur est encore capable de battre. Sa peau étrangement réchauffée par le feu qui l'habite. Cette étrange magie qui émane de lui. Oui ! Brûle moi. Consume moi toute entière. Les mots qui meurent au fond de sa gorge. Autant de supplications qu'elle ne s'autorise pas. Envie brûlante. Désir inavoué. Magie qu'elle veut comprendre. Ça lui glisse entre les doigts. Comme le pouvoir. Comme la vie. Des énigmes suspendues dans l'air. Comme cette flamme qui enfle, continue de baigner leurs visages d'une lumière incandescente. Chaleur dévorante. Elle ne respire pu Mavka. Complètement hypnotisée, bercée par sa voix qui chuchote près de son oreille. Frivolité ridicule à laquelle elle est incapable de mettre fin. Elle est hors de contrôle Mavka. Alors bien sûr il se devait de faire éclater leur bulle. La renvoyer dans les ténèbres. L'inspiration est douloureuse. Retour brutal à la réalité.

Elle se redresse, efface toutes traces d'émotions sur son visage. Adieu la gamine. Elle demeure Mavka Ketarova. Éternellement maudite. Princesse déchue prête à tout pour retrouver sa place. Et lui ? Rien qu'une distraction. Un pion sur l'échiquier. Un chevalier de papier. Une chimère. Un être méprisable. Et pourtant le seul homme à qui elle accorde un peu de confiance. Le seul à voir les craquelures. Sa carapace fêlée, son cœur brisé. L'ancienne Mavka se battant pour survivre. La gamine qui disparaît chaque jour un peu plus. Comme maintenant. Protection de circonstances. Certaine de mourir au prochain coup porté à son cœur. « Bien sûr. Tu n'existe que pour nous servir. Je ne doute pas qu'elles soient nombreuses à réclamer tes services. Après tout, pourquoi se refuser des mains expertes ? » Rien qu'un pion. Elle finira par y croire. Un jour. A force de se répéter les mêmes mensonges jour et nuit. La jalousie disparaîtra. Son besoin irrationnel de tout posséder. D'être meilleure. La première. La seule. Elle supprimera ces émotions et toutes les autres. Elle écrasera ses sentiments, les enfermera dans une boîte qu'elle jettera dans un puits sans fond. Elle deviendra aussi froide que la glace. Qu'importe. Il n'y a que le pouvoir qui compte. La vengeance qui coule dans ses veines. Seul sentiment qui vaut la peine de vivre.

« Donne moi la parure de feu ainsi que l'émeraude. Je ferai mon choix au dernier moment. » Comme si elle était encore maîtresse de sa destiné. Elle rêve encore de la main du joaillier. Fabulations d'une enfant qui refuse de lâcher prise. Et Mavka n'a pas le cœur de la tuer. Elle reste pourtant immobile lorsqu'il détache le collier de son cou, se refusant à la moindre émotion. A peine un battement de cils alors qu'il se montre narquois, dévoilant enfin son jeu. Elle serre les dents, partagée entre l'envie de le mordre et celle de baisser les armes. Fatiguée. Elle sait rester digne malgré tout. Princesse en toute circonstance. Fille d'empereurs devenus légendes. Véritable cauchemar éveillé. Horrible mascarade à laquelle elle se doit d'assister. Ça lui déchire les entrailles d'y penser. Et la mention d'Eddard fini de l'achever. Ombre qui plane depuis trop longtemps au-dessus de sa tête. Elle sait qu'il est trop tard pour reculer. Les calculs désormais terminés. Sa mère a mit un point final à cette histoire. A sa vie. Et voilà qu'elle doit affronter seule ses démons. « J'imagine que tu y sera ? Tu pourras ainsi constater par toi-même l'impression que font tes parures sur mon fiancé. » Le mot arraché de force lui tord les lèvres. Elle se détourne, finalement incapable de poursuivre cette conversation qui lui donne la nausée. « Ou te régaler des cous de toutes ces autres femmes habillé par tes mains. » La vipère fait son nid. Venin vulgairement craché, suspendu dans les airs en attendant de savoir si la cible est atteinte. Mavka, elle, l'est. Il avait suffit d'un rien pour que la réalité vienne la frapper en plein cœur. Pantin ridicule à la merci des événements. Souvenirs douloureux gravés dans sa mémoire. Elle se veut désinvolte, au-dessus de ces émotions qui menacent de la submerger à chaque seconde de chaque jour. « Peu importe. » Elle détache enfin son regard de l'extérieur où les badauds s'attardent quelques secondes à peine devant la boutique. Ses yeux retrouvant le chemin du visage d'Alexandre. Tortionnaire souriant. « Ce n'est pas tant ma tenue qui devra impressionner que ma façon d'être. » Avoir l'air forte. Donner le change. Faire croire à un semblant de contrôle. Ne pas donner aux Romanov la moindre petite satisfaction. Mettre de côté ses faiblesses. Impitoyable Mavka.

Alexandre n’est pas dupe et derrière les belles paroles de la brune, il voit bien la petite once de jalousie qui s’y traîne. Une mâchoire un peu trop crispée, une langue qui claque un peu trop sur un mot. Un air faussement innocent. Evidemment, cela le ravit. Il aime se sentir désiré, qu’on jalouse les autres clientes auxquelles il pourrait offrir ces fameuses « mains expertes ». Cela flatte son ego et ses tendances narcissiques, encore plus lorsque cela vient d’une femme de la haute noblesse qui pourrait avoir de nombreux hommes à ses pieds. Ou peut-être pas, peut-être que la situation familiale et la déchéance récente des Keratova ont atteint le capital séduction de cette dernière. Dans tous les cas, en tant qu’allégeant d’Albignac, cela lui importe guère. Il se prêterait peut-être même à dire que le règne Keratova était meilleur que celui des Romanov, bien que leur considération pour la magie ne demeure pas en sa faveur, mais il ne l’admettra jamais. « Je ne suis qu’un instrument de désir en effet, et je ne refuse mes services à personne. » dit-il l’air malin avec son fameux sourire en coin, bien heureux de pouvoir s’amuser de l’air renfrognée de son interlocutrice.

Il tend les deux écrins choisis à sa cliente. « Les deux sont à des prix équivalents, même si j’imagine que tu n’as pas de soucis de ce côté-là. » Simple souci de transparence, il ne connaît pas dans le détail l’étendu de leur richesse, mais sa tenue vestimentaire « de ville » vaut déjà sûrement plusieurs tenues de soirées des couches populaires. Bref moment de calme avant l’affrontement souterrain que sa question et l’évocation d’Eddard suscite. Pas de surprises cependant, il s’y attendait. Lorsqu’il dépose ainsi les écrins au creux des mains de la brune et que cette dernière les ferme pour se saisir des objets, sa main s’attarde, le contact de leur paumes séparé par les deux objets de velours. « Donne-moi la date et je ne manquerai pas d’être au premier rang pour t’admirer. » chuchote-t-il presque avant d’enlever brusquement sa main pour lui laisser les écrins. Il continue de la défier, persuadé que cette union n’aura jamais lieue et qu’elle se donne simplement en spectacle pour se faire désirer. Attendre qu’il fasse le premier pas peut-être ? Il sait pertinemment qu’il n’est pas assez bien pour elle. Du moins, sur le papier. Il échappe un rire, plus fort que lui lorsqu’elle évoque les cous dont il pourrait se régaler au passage à cette réception imaginaire. « On dirait que tu commences à bien me connaître, je ne manquerai cela pour rien au monde dans ce cas. Donne-moi juste une date. Dans deux jours, une semaine, un an, peu m'importe. » continue-t-il à dire pour la taquiner, toujours plus la torturer devant son incapacité à concrètement donner lieu à ce mariage. « Qui sait, peut-être que j’y trouverai la bonne moi aussi là-bas. » Phrase lancée avec une insolence et arrogante qu’il ne cherche même plus à dissimuler. Arrête. Un léger coup de pied sous le comptoir pour faire taire son Daemon décidément très agaçant. J’en ai assez de t’entendre. Lui répond-il par la pensée. « Tu as déjà réfléchi à ton discours ? Je peux t’aider à les écrire si tu veux. » Ultime provocation de sa part, l’huile est jetée et le feu consommé depuis quelques instants déjà, serait-ce le moment où elle va craquer ?

Elle croît tout connaître. Si certaine d'être encore la meilleure. Sûre d'avoir toutes les cartes en main. Quant en réalité il est seul maître de la situation. Le seul à savoir vraiment ce qu'il fait. Elle se contente de suivre, affreusement consumée par des émotions qu'elle ne connaît pas, ne comprend pas. Pauvre folle. Gamine écervelée. Elle se trahie Mavka. Incapable de rester stoïque. Poupée de porcelaine qui se brise un peu plus chaque jour. Chacun de ses mots envoyant une décharge électrique dans son cœur. Pincement douloureux qu'elle déteste. Il se joue d'elle. Encore. Toujours. Et Mavka doute. Sale habitude dont elle ne se débarrassera jamais. La confiance brisée en un claquement de doigt. Si ils ont brisé le corps de son frère, ils ont aussi brisé l'esprit de la sœur. Sans parler de son cœur. Elle n'est plus la même Mavka. Ne le sera plus jamais. Et alors qu'elle regarde dans les yeux d'Alexandre Deauclaire, le doute l'envahi. La peur d'être entière. L'angoisse bien réelle de n'être qu'un pantin entre ses mains qui s'attardent contre les siennes. Le contact salvateur de sa peau. Ses doigts qui cherchent à le retenir. En vain. Il est déjà loin. Il n'a jamais vraiment été là. Rien qu'une chimère. Un fantôme de plus.

Elle doit vivre sa vie Mavka. Avancer seule. Toujours. Avec sur ses épaules le poids de la mort. « La soirée en l'honneur des Romanov. » Ça n'a l'air de rien. Mais ça lui en coûte de prononcer ces mots à voix haute. Elle se force à détourner les yeux. Seul moyen efficace pour tenir à bonne distance le tourbillon d'émotions qui la submerge. Elle ne sait plus comment se comporter, à tout oublié de la bienséance, des leçons de sa mère. Mais elle n'a pas oublié la plus importante de toute. Ne fais confiance à personne. Jamais. « Ce n'est pas un jeu Alexandre ! » Elle brûle de colère, agacée par ses allusions, meurtrie par son désintérêt et cette désinvolture qu'elle exècre. « Crois-tu vraiment que je sois venue ici pour tes bijoux ? » Piètre excuse. Pale illusion. Elle délaisse les écrins sur le comptoir, se fichant bien de les voir glisser, de voir disparaître les bijoux. C'est sa vie tout entière qui pourrait disparaître. Sa liberté qui n'est déjà qu'illusions. « Le temps m'est compté. On effacera bientôt le nom de Ketarova au profit de celui d'Albignac. » Elle se résigne enfin. Elle baisse les armes Mavka, trop faible pour encore se battre. Trop fatiguée. « Je doute alors d'avoir le luxe de poursuivre ces visites. » Convaincue qu'il fera tout pour la tenir éloignée de son ancienne vie. Des gens qu'elle aime. Des quelques âmes en qui elle a confiance. Elle ricane, sincèrement blessée. « Je te souhaite de la trouver. » Terriblement sincère. Elle aurait aimé pouvoir choisir elle aussi.

L'étincelle dans son regard se meurt et elle se détourne, finalement consciente de la faiblesse qui transpire dans chacun de ses gestes. La tête haute elle s'éloigne du comptoir. Prête. Décidée à quitter les lieux. Pour ne peut-être plus jamais y revenir. Et au fond du cœur une zébrure. Fêlure de l'âme. Retiens moi. Ne me laisse pas partir. Un cri qui la déchire de l'intérieur.