Les battements de son cœur cognent furieusement contre ses tempes, elle inspire, elle expire, doucement, profondément, elle a les vagues à l'âme, l'esprit dérangé, abîmé, par les épreuves que la vie lui a imposer. Elle a été forgée pour être forte, infaillible, une créature assassine, envoyée par le divin pour purger la monstruosité de ce monde. Elle a grandit dans la force brute et la violence, préparant son corps et son âme à affronter la magie qui dégueule sur la terre pour éradiquer l'humanité. Elle est cette lame assassine, cette meurtrière de sang froid, qui traque et exécute sans ressentir une once de culpabilité. Mais on ne l'avait pas préparée aux affres de l'amour et la détresse d'un cœur qui se crève de douleur, condamnée à vivre sans l'être aimé. Elle n'avait pas été préparée à ressentir de telle chose, à faire face à de tels sentiments. Et depuis, l'univers lui-même ne tournait plus rond, comme s'il rejetait lui aussi la perte de l'empereur déchu, comme s'il exécrait les créatures qui s'étaient hissés aux pouvoirs et portaient aujourd'hui la couronne. Jusqu'à dans sa tête, ces voix, furieuses voix qui la hantaient, la bouleversaient, à travers elle, ce sont les autres Paris qui s'éveillaient, hurlant à la réouverture des frontières. C'était une punition. C'était forcément une punition. Pour les secrets gardées, alors que le mal rongait cette famille prestigieuse jusqu'à la moelle, alors que le mal s'était infiltré dans sa propre demeure sans qu'elle n'en avertisse qui que ce soit. Elle avait laissé la magie souiller le sang des Turgenev... Et si personne n'avait encore découvert ce terrible secret, le divin, lui voyait tout. Elle l'avait trahi parce qu'elle n'avait rien fait, parce qu'elle n'avait pas choisi, elle était restée sans rien faire, se contentant de jouer les aveugles. Mais le silence lui pesait d'autant plus qu'elle portait le poids de ce nouveau secret, souillé à son tour par des fragments de cette magie répugnante. Elle étouffait, s'asphyxiait, ne supportait plus de croiser son propre reflet dans le miroir. Des bruits de pas, elle se redresse, refusant d'être vue dans une telle posture qui pourrait être assimilé à de la faiblesse. Ses doigts se crispaient légèrement contre la méridienne contre lequel elle était assise. Ses iris glacées viennent chercher l'intrus. Anatoli. Un soupire qui franchit le seuil de ses lèvres alors qu'elle se laisse retomber en arrière. Elle cède, relâche à nouveau la pression, couchée, elle inspire et expire profondément, encore. La tête presque à l'envers, les boucles blondes dansant dans le vide. What's wrong with me? Qu'elle lâche dans un murmure, un souffle, à peine audible.

Elle le sent s'approcher, se pencher pour se retrouver à sa hauteur. Elle ne voulait pas l’inquiéter, mais son esprit est bien trop tourmenté pour s'enfermer dans un mutisme ridicule, reconnu comme un force dans les rangs de l'ordre, plus encore dans ceux des Turgenev. La chasseresse ne voulait pas être catégoriser comme faible, catégorisée comme instable et peu fiable, alors elle avait ravaler sa peine, sa douleur, alimentant ses démons qui se nourrissaient de ces sentiments obscurs trop longtemps refoulé. Elle ne pouvait que contrasté l'ampleur des dégâts, son silence avait alimenter l’illusion et sous la stabilité d'apparat, la maudite partageait son existence avec un spectre.« Avalon. Are you feeling ill? » Elle laisse échapper un soupire, lasse, désabusée, elle préférait que les causes de son mal-être soit purement physique, car son corps avait été forgé bien plus que son âme. Il glisse sa main contre son front et le visage de la blonde bascule sur le côté, ses iris translucides venant se heurter à celle de son cousin. « I'd Rather » Un nouveau soupire et elle se redresse, attrapant un coussin pour le serrer contre elle, combler le vide, l'absence, ce trou béant qui lui creusait le cœur. Ses lèvres se pincent l'une contre l'autre, hésitante, elle ne savait même pas par où commencer... Par que sous ses maux, des mots qui ne pouvaient pas être prononcé, des secrets bien gardé qui devait le rester. « Nevermind that. Just breathe for now, can you do that for me? » Breathe. Cela semblait si simple, si facile, pourtant chaque bouffée d'air lui semblait terriblement douloureuse. Elle avait le regarder, ses orbes azures se perdaient dans le lointain, se noyait dans l'océan d'incertitude qui tapissait son âme « I'm not sure anymore. » Qu'elle murmure. Elle se perd dans ses pensées, essayant de se remémorer quand tout cela avait commencé, quand les maux s'était emparé d'elle, la réduisant à une vulgaire petite chose, fragilisée par la perte d'un seul être. « I haven't been sure of anything for two years now. » Tout la ramenait à lui. Même ces voix, surtout ces voix, elles s'insinuait sournoisement dans son intimité, faisait resurgir des blessures qui n'avaient jamais cicatrisée. « And these voices in my head aren't helping. » Elle savait de quoi elle avait l'air. D'une folle, d'une cinglée, parce que les humains n'étaient pas exposé à ce genre de magie, non, c'était le genre de chose qui arrivait aux être doté de magie... Mais certainement pas à un membre de l'ordre, encore moins à une Turgenev. Était-elle devenue une des leurs? Était-ce sa punition pour avoir garder le secret de sa famille pendant de nombreuse année?

« Voices? » Elle laisse échapper un nouveau soupire alors qu'elle se débarrasse du coussin, elle est brusque, presque violente, trahissant les troubles qui bouleversent son âme. Ses iris  viennent à nouveau chercher celle de son cousin, secouant sa frimousse à la négative avant d'hausser les épaules, signe qu'elle n'en comprenait pas beaucoup plus que lui.  « Voices. » Qu'elle se contente de répéter dans un murmure. Elle cherche en lui la moindre trace du rejet que ses confidences pourraient provoquer, ne sachant que trop bien que le magie ne peut-être tolérer dans leur rang. Elle aurait pu se confier à son frère jumeau, ou même à sa sœur aînée, mais elle n'avait pu se résoudre. Ava était rongée par la culpabilité de les avoir tenu à distance pour ce qu'ils étaient, ce qu'ils représentaient, alors qu'aujourd'hui, elle était à son tour souillée par le vice et portait en elle la trace du malin. Elle culpabilisait et elle leur en voulait, de l'avoir mis dans une pareille position, d'avoir du scellé ses lèvres, gardés le secret de leur aliénation. Non, elle ne pouvait se tourner vers nul autre que lui. En espérant qu'il puisse l'aider, ou tout au plus, lui pardonner. « Avalon… What voices? » Ses lèvres se pincent, elle hésite, elle ne sait pas encore si elle pouvait lui faire entièrement confiance... Mais avait-elle seulement le choix? Elle en avait déjà bien trop dit... Ou pas assez. « The voices. From the other side. »Les mains posées de part et d'autres de son corps pour se donner l'impulsion suffisante pour se redresser et s'éloigner de lui, elle s'agite à nouveau, parce qu'elle prend le temps de s'arrêter, de penser et tout s'accélère soudain.  « I think, uh... I think they're from the other dimensions. » La détresse dans la voix, elle revient chercher un ancrage dans son regard à lui.

Une incompréhension lasse traîne dans les gestes de sa cousine—dans son soupir, dans ses épaules, dans le regard qu’elle fiche dans le sien. Le sang afflue dans son cerveau dans un mouvement forcé, brusque précipitation aux décibels claquant dans la pièce pourtant silencieuse. La confirmation d’Avalon lui donne presque le tournis. Son regard, pourtant mû par la volonté de communiquer sa réaction la plus sincère, de trembler sous le coup de l’émotion, se durcit d’un coup, ignore les désirs. Le visage d’Anatoli a trop appris à se refermer, et à cacher ses faiblesses. La révélation, présentée toute simplement, s’il elle avait été faite quelques semaines plus tôt, ne lui aurait évoqué que des histoires de folie et d’asiles. Mais la réalité est devenue toute autre, avec les rumeurs qui circulent dans Paris, mais surtout avec les fantômes qui hantent l’esprit d’Anatoli même en plein jour.
“The voices. From the other side.” Avalon se relève, s’écarte, le corps préfère l’action—Anatoli en connaît bien les symptômes agités. Et Anatoli, dans une torpeur abasourdie, garde son genou au sol, ancrage pesant qui lui semble nécessaire sous l’emprise du choc qui n’en finit plus de l’ébranler. Les doutes tournoient dans son crâne, s’emparent sournoisement du souffle hésitant. Avalon est dans la même situation que lui; la réalisation lui apporte d’abord une vague de soulagement, mais aussi une crainte suspicieuse qui l’empoigne aux entrailles. Cette situation cauchemardesque dont il souffre depuis si peu, peut-il se permettre de la partager? Il sait que sa cousine, la plus fidèle, la plus amie, risque fort d’être la seule personne qui, armée du savoir de ce qu’Anatoli subit, n’en userait pas pour détruire sa vie durement construite sur des échafauds bien trop fragiles. Pourtant, l’étiquette de traître, qu’il a frôlée trop de fois, est impensable. Il n’y aurait pas de pardon pour Anatoli, de l’Ordre comme d’Ilya, esprits implacables qui n’hésiteraient pas un instant pour pousser l’intendant hors de leurs rangs, hors de leur vie, et au simple état de poussière, et de souvenirs barbouillés.
La voix d’Avalon résonne à nouveau, tire Anatoli hors de ses frayeurs. “I think, uh... I think they're from the other dimensions.” Une voix déchirée par la détresse, par une peur qu’il ne comprend que trop bien, et le cœur déchiré prend une décision avant même que le cerveau ne le réalise. Sa respiration reprend enfin lorsqu’il prend la parole; Anatoli suppose qu’il l’avait retenue dans une réflexe paniqué. “You’re hearing strangers’ thoughts. From another Paris.” Ses jambes se meuvent, le portent une nouvelle fois de toute sa hauteur. Il ne s’approche pas, chancelle presque sous la simple manœuvre. Son regard ne se détache pas un seul instant de celui d’Avalon, presque dans l’espoir d’y voir les réponses, la compagnie dont il a besoin. “You mean you’re in a cluster too.” La confession n’est faite qu’à demie; mais elle viendra, claire et confidente, Anatoli la sent au bord de son cœur meurtri, prête à prendre un envol suicidaire. Si elle peut soulager la douleur au creux de sa poitrine, et celle de sa cousine, elle viendra.

L’adrénaline dévore ses veines, se distille dans son sang, se propage sournoisement dans chaque partie de son corps, possédant chaque morceau de son âme. La chasseresse n'est pourtant pas de celle qui se laisse facilement impressionnée, au contraire, elle a été forgé pour dompter ses peurs, les apprivoiser pour qu'elles se muent en force et qu'elles ne viennent jamais se dresser contre elle. Pourtant il y a des peurs qu'elle n'avait pas vu venir, des craintes qu'elle n'aurait jamais imaginé, des cauchemars qui se sont matérialisés et se sont imposés à elle. L'impossible devient possible et l'imaginaire prend vie lorsque la magie s'infiltre en elle, démon sournois qui la possède, la punis, pour les vices cachés et les secrets trop longtemps gardés. L'humaine est confrontée à sa propre faiblesse, désarçonné sur son propre terrain de chasse, elle se demande si elle n'est pas devenue l'une des proies qu'elle a si longtemps traqué. Et si ce n'était que le début? Si les voix n'étaient qu'un avertissement, avant que le malin ne s'empare d'elle et n’insuffle en elle la malédiction d'un pouvoir. Elle crève de trouille, elle n'ose même pas y penser, elle a peur de la peur elle-même. « You’re hearing strangers’ thoughts. From another Paris. » La main se porte à ses lèvres nerveusement. Elle ne fait pas encore le lien, non pas tout de suite, elle se contente de hocher la tête, alors qu'elle triture ses lèvres, le regard accroché au néant. Elle se perd dans les méandres de ses pensées, ne comprend pas ce que les mots de son cousin dissimule, non, pas encore. « You mean you’re in a cluster too. » Un soupire. Ses mains se relâche mollement alors qu'elle hausse les épaules, se tournant vers lui. « I don't know. I suppose. » Elle s'arrête fronce les sourcils, revenant précipitamment vers lui. Elle dévore la distance, plonge ses iris translucides dans le regard du chasseur Turgenev. « What? » Articule-t-elle. Les pensées fusent. Les mots se mêlent et s'entremêlent furieusement.  « Too? What are you implying?  » Les sentiments surgissent de toute part. Explosion de son myocarde qui s'emballe, entre l'angoisse de devoir porter un autre secret, le dégoût face à l'emprunte de magie et la gratitude que dieu lui ait amener un être capable de la comprendre et de partager ce foutu secret.