La porte du long couloir des cellules s'ouvrit brutalement dans son grincement habituel pour laisser place à une armée de pas sourds, décidément assurés. Ce bruit si particulier que le métamorphe allait entendre pour la dernière fois. Ce bruit âcre de cette issue en fer qui ne pouvait annoncer que deux choses. L’arrivée de la tambouille, ou du moins ce que l’on pouvait traduire pour de la nourriture, ou le moment pour Jared, ou pour un autre enhanced, d’être emmené dans l’une des nombreuses salles d’expériences à l’étage supérieur. Dans les deux cas, le résultat était le même; de la souffrance à l’état pur. Une émotion si acerbe qui forgea chez le jeune homme une carapace impénétrable après tant de longues années à supporter silencieusement la désagréable sensation des aiguilles pénétrées dans ses membres, les éprouvants coups de matraque dans le dos et les diverses manipulations génétiques dont il fut la cible. Néanmoins, il était trop tôt pour qu’on leur serve la mangeaille et il n’avait pas entendu le bruit stridulant des roulettes du chariot repas dans l’allée. La première option était désormais caduque et annonçait le départ d’un enhanced pour l’étage du supplice. Au fond de sa cellule, Jared ferma anxieusement les yeux tout en priant pour ne pas être la personne que les gardes venaient chercher. Malheureusement pour lui, les bruits de pas se rapprochaient de plus en plus de sa cellule jusqu’à s’arrêter finalement à la hauteur des barreaux de sa cage. Un long soupir s’extirpa du jeune métamorphe qui réouvrit ainsi les yeux tout en sachant éperdument que les prochaines heures de sa vie misérable le seraient encore plus à cause du traitement auquel il serait confronté. Machinalement, il quitta sa place pour s’avancer vers les gardes en tendant ses bras pour qu’on lui passe les menottes.

Toutefois, son élan fut stoppé net par la venue d’une femme à l’entrée de sa cellule. Tout en baissant ses bras frêles le long de son corps, il fut assujetti par un réflexe d’intimidation qui le poussa à reculer de quelques centimètres en arrière. Il faut dire que la silhouette qui lui faisait dorénavant face, après que les gardes aient refermé la porte de sa cage derrière elle, était définitivement imposante. Mais les traits tirés du visage de la jeune femme qui le fixait froidement ne rassuraient en rien Jared, pour qui, cette personne lui était décidement étrangère. Il n’osait pas la regarder dans les yeux. Néanmoins, il se permettait quelques brefs coups d’oeil pour tenter de déceler des indices sur l’identité de son interlocutrice. Ces quelques instants de silence entre eux immiscèrent chez Jared un sentiment naissant d’angoisse où il pouvait sentir son rythme cardiaque s’intensifier peu à peu. Elle semblait détenir dans ses mains des vêtements pliés, résolument propres, qu’elle laissa tomber au sol avant d’enfin prendre la parole sur un ton très hautain. « Qu'êtes-vous prêt à m'offrir si je vous fais quitter ces murs, Monsieur Sterling? » lança-t-elle placidement tel un ultimatum au métamorphe. Une question qui lui provoqua instantanément les frissons le long de son échine. En vingt et une année de détention dans ce centre, cette question ne lui avait jamais été posée, mais dans ces songes les plus profonds, il l’avait imaginé secrètement des centaines de fois. Son rythme cardiaque s’engouffra alors dans un tourbillon d’émotions étant pris de court par la question solennelle de la jeune femme au chignon. Jared ouvrit la bouche pour laisser entrevoir une légère réaction d’étonnement. Il devait lui répondre le plus rapidement possible mais il ne devait pas répondre de la mauvaise manière. Il devait viser juste, même s’il ne connaissait manifestement pas ses intentions. C’était peut-être sa porte de sortie, et le potentiel échec à cette initiative le rongerait pour sûr jusqu’à la fin de ses jours. Concrètement, il n’avait rien à lui offrir d’autre que sa parole puisqu’il ne possédait rien d’autre en ce bas monde. Tout ce qu’il possédait lui avait été retiré ou détruit, à l’exception de son besoin de vengeance que personne jusqu’ici n’avait réussi à anéantir. Même s’il devait forcément y a avoir quelque chose de louche ou de lugubre caché derrière cette question brusquement lancée, Jared se devait de s’y engager. Quitte à avoir des remords autant avoir le culot et oser. ”J’ai tout à vous offrir madame, en particulier ma parole.”, rétorqua Jared sans broncher avec une certaine sérénité qui perça habilement ses songes apeurés. Ce n’était qu’une façade puisqu’il était toujours autant tourmenté quant au dénouement de cette discussion. La réponse de la jeune femme scellerait de ce fait son destin, comme se fut le cas le jour de son douzième anniversaire, et cette incertitude lui coupait littéralement le souffle. Des images de sa terrible cérémonie du rituel lui parvinrent alors subitement au travers de quelques courtes pensées. Étant toujours en attente d’une quelconque réaction de la part de son interlocutrice, Jared secoua brièvement la tête pour dissiper ses sinistres souvenirs et reprendre une respiration moins saccadée.