Alexandre avait faim, très faim au début de la soirée. Il était arrivé tôt, parmi les premiers convives nobles de la soirée, et si l’alcool coulait à flot, il n’y avait rien à se mettre sous la dent. Aussi, quand il a vu débarquer les mignardises, ses babines étaient alléchées et cela ne tenait qu’à ses bonnes manières s’il n’avait pas cédé pour se jeter dessus comme l’affamé qu’il était. Et pourtant, en ce moment même, dans la panique et la confusion, ce qu’il voulait le moins au monde, c’était manger. L’appétit lui avait totalement été coupé. Tout était allé si vite : un empoisonnement, des cris de stupeur et d’effroi, les rires avaient vite cédé aux larmes. Le pire, c’est qu’Alexandre connaissait vaguement l’enfant Hale affecté lui aussi par l’empoisonnement, et la chose était un terrible spectacle à voir. Il voulut s’en aller, mais on lui en interdit jusqu’à ce que la chose soit réglée. Il réalisa également que ce n’était pas la meilleure chose à faire. Il était pourvu de magie, et bien que d’Albignac, en apparence neutre, en général, dès qu’il y a tragédie, on se tourne vers les intrus. Ceux qui ne sont pas « comme nous ». Et c’est sûr qu’avec son coyote, Alexandre faisait tâche. Il resta donc à l’écart, souhaitant qu’on l’écarte et surtout, il n’avait rien de plus à apporter que les personnes compétentes affairées autour des deux victimes. La situation prit une autre dimension lorsque la salle comprit que la magie pouvait se retourner contre ceux qui l’utilisaient, même ici lorsque c’était à bon dessein.

Ses yeux observaient autour de lui tous les convives, à la recherche d’un coupable, d’un indice qui pourrait lui permettre de comprendre qui avait fait cela, pourquoi et surtout pourquoi ce soir, pourquoi maintenant. Mais tout n’était que chaos, et les gens allaient et venaient dans tous les sens. Ce qu’il remarqua toutefois dans cette foule dense et agitée, ce sont une couleur changeante et mouvante. Son regard perçant fixa ce point qui bougeait à toute vitesse avant qu’il n’aperçut un visage : Mavka. Elle avait sûrement voulut utiliser son pouvoir qui ne fonctionnait pas. Et il la connaissait assez bien pour comprendre qu’à l’expression de son visage, elle allait faire une bêtise. La rage y était inscrite, et il ne fallut pas une seconde plus à Alexandre pour comprendre pourquoi elle avait choisi d’utiliser son pouvoir maintenant et ce qu’elle comptait faire. Il se leva dans le même temps pour s’avancer au pas de course vers elle. Il fallait qu’il l’empêche d’atteindre un des Romanov. Il se fraya un chemin sans politesse et difficultés parmi les convives pour littéralement rentrer dans Mavka, l’attraper par le bras et la pousser dans un coin de la salle. « As-tu perdu la tête ? Souhaites-tu mourir ce soir ? » chuchotait-il, son corps en opposition pour éviter qu’elle ne lui échappe. Il n’avait pas le temps de s’engager dans une conversation avec elle, il préférait lui dire tout de suite qu’il avait bien compris ses intentions et que ce qu’elle faisait était complètement inconscient.

Il comprend sa colère. Même s’il a toujours été quelqu’un de mesuré, Alexandre comprend la rage qui anime la brune. Cette envie de crier, de se rebeller contre les conventions et envoyer tout valdinguer, il l’a souvent eue, face aux regards sur son coyote qu’il traîne par exemple. Regards de sa propre famille également, dont il est le seul être pourvu de magie, même si cette dernière a toujours essayé d’être bienveillante. Alors oui, il comprend. Mais pour autant, il ne peut pas la laisser faire ça. La laisser faire ça, ce serait l’envoyer vers une mort certaine. Et, il ne veut pas la voir mourir.  « Je ne peux pas te laisser mourir. Pas ainsi, pas maintenant, pas tout court. » Il la maintient du mieux qu’il peut, sa carrure imposante permettant également dans le chaos de cacher les couleurs changeantes de sa crinière, témoignage de l’utilisation d’une magie qui serait peu recommandable à l’heure actuelle. Les gens semblent de toute façon plus affairés à vouloir sortir ou participer à la cacophonie générale pour remarquer Alexandre et Mavka dans un coin de la pièce.

Il sort un mouchoir de sa poche pour essuyer les larmes de la jeune femme qui ont coulé et défont sont maquillage. Ce geste semble l’apaiser quelque peu, le toucher de ses doigts contre sa peau. Il est toujours aussi méticuleux et délicat dans ses gestes, comme lorsqu’il fait les finitions d’un beau bijou. « Reste calme, voilà voilà… » dit-il en estompant le noir de ses yeux ça et là. Une fois les arrangements terminés, ses deux mains viennent se placer sur chacune des joues de la brune, couvant son visage dans ses paumes pour attirer son regard dans le sien. «  Reste avec moi. Là. Tu auras tout le temps de comploter et les faire souffrir bien davantage que dans un coup de couteau balancée à la volée, dont tu n’aurais même pas la certitude qu’il parviendrait jusqu’à leur coeur. » Si Mavka veut tuer les Romanov, autant faire les choses bien, et vu la perte qu’elle a subie, certainement pas dans un plan impulsif monté à la va-vite. Il sait bien que sa colère ne s’éteindra pas, alors autant essayer de lui faire entendre la raison en évoquant la possibilité d’une revanche calculée et d’une souffrance infligée qui durerait bien plus longtemps. « Tu ferais mieux de mettre un voile ou foulard sur tes cheveux si tu ne veux pas attirer l’attention. » Son coyote quant à elle s’est flanché sous la table du buffet, à quelques mètres d’eux, tapie dans l’ombre. Faire le moins de vagues possibles jusqu’à ce qu’ils puissent sortir d’ici, c’était bien son intention.